Ce blog est avant tout un blog photos, mais je tente modestement une incursion dans le domaine littéraire.
Un art ou je ne suis pas pour autant à l'aise, mais l'écriture me laisse le temps du choix des mots et celui d'organiser ma pensée, un luxe que l'instantanéité de l'oral ne me permet pas.
Les interdits sont légion, je m'affranchis donc sans complexe de celui là et espère l'indulgence de mes quelques lecteurs.
J'ai choisi d'aborder l'écriture par la nouvelle.
La nouvelle est un art littéraire très codifié ; un récit court, généralement entre 1000 et 10 000 mots où le lecteur est rapidement immergé dans l'histoire. Les personnages, lieux et évènements y sont souvent limités, et la fin, la chute, qu'elle soit surprenante, implicite ou pas, est une caractéristique clé du genre…
Ma première nouvelle est ICI
Je vous soumets ma deuxième nouvelle:
Le Dernier Clic
Lyon, 8 décembre, la fête des Lumières bat son plein. Les rues de la ville sont plongées dans un océan de lumière. L’air est saturé de parfums mêlés : celui du vin chaud à la cannelle et des marrons qui crépitent sur les braises. Chaque lieu emblématique de la ville est sublimé par des projections féeriques qui donnent l’illusion que la ville respire au rythme de ses illuminations. Chaque quartier est une scène enchantée, chaque façade un tableau vivant. Lyon se transforme pour quelques jours en œuvre d’art.
Comme chaque année, Paul, photographe amateur, arpente les rues animées de la ville, prêt à capturer l'essence même de la fête. Mais cette fois, il ressent une urgence particulière. Ces scénographies semblent l’attirer, comme la promesse d’un instant précis qu’il ne doit surtout pas laisser échapper. Dans cette frénésie de lumières, il est habité par le sentiment que la soirée lui réserve bien plus que de simples prises de vues.
Un licenciement inattendu, sa petite amie qui le quitte, depuis quelques mois la vie de Paul vacille. La photographie, cette passion qu'il cultive depuis toujours, est devenue bien plus qu'un simple loisir. Chaque cliché est un moyen d'échapper à sa réalité, à ses inquiétudes financières et à la perte de direction dans sa vie.
Cette fête est une source d’inspiration et de défis : immortaliser la beauté éphémère, ajuster ses réglages pour capturer la douceur des nuances lumineuses sans surexposer l'image. Mais cette année, elle était pour lui bien plus qu'un simple événement culturel.
Il prend beaucoup de plaisir à saisir la succession de tableaux graphiques et colorés, comme ceux qui métamorphosent et subliment la façade de la cathédrale Saint-Jean. Sa rosace, illuminée, semble alors battre comme un cœur, vibrant au rythme des jeux de lumière. Paul adore également isoler un détail d’un ensemble pour le faire vivre par lui-même, ou encore, chercher des angles de prise de vue insolites, la photo que les autres ne feront pas. Comme ce cliché de la statue du Petit Prince et de Saint-Exupéry, à l'angle de la place Bellecour, cadrée à travers un poisson lumineux flottant dans l'air.
Pourtant ce soir-là, malgré la magnificence de ces spectacles, une force invisible le pousse ailleurs. Il s'arrête place des Terreaux, autre lieu incontournable de la fête. Subjugué, il admire les compositions semblant se déformer, comme si la lumière elle-même voulait s'échapper des limites imposées par les murs de pierre. Il ne peut s'empêcher d'être fasciné par l'infinie diversité des jeux lumineux. Mais, au fond de lui, il sait que ce n'est pas là qu'il trouvera ce qu'il cherche.
Paul continue d’errer, capturant ici et là, des fragments de poésie urbaine : un enfant, juché sur les épaules de son père, qui s'émerveille devant le son et lumière de la fontaine de la place de la République ; une gigantesque fleur qui luit dans la nuit, dont les pétales s'ouvrent et se ferment lentement ; un couple qui s’embrasse sous un lampadaire rougeoyant ; ou encore le reflet de la statue de Louis XIV dans une flaque, laissée par la pluie du matin.
Mais aucune de ces images ne parvient à combler le vide qu’il ressent.
C'est en s'engageant dans une petite rue du Vieux Lyon qu'il aperçoit une silhouette familière. Une femme seule, immobile, observe une projection lumineuse qu'il n'avait pas repérée sur le programme officiel. Paul reste interdit, incapable de croire ce qu'il voit. Il sent son cœur hésiter quelques battements.
C'est bien Isabelle, sa petite amie, qu’il n’avait jamais cessé d'aimer.
Une lueur douce éclaire son visage. Un flot de souvenirs l’envahit : leurs longues promenades sur les quais du Rhône, ses éclats de rire qu’il aimait tant, et cette dernière soirée où elle lui avait annoncé son envie de partir, de changer de vie…
Paul détourne un instant son regard sur cette façade qu’Isabelle observe sans le voir. Une scène de vie courante, somme toute banale, est projetée, là, sur le mur de cet immeuble. La scène s'anime. Les personnages, jusque-là flous, prennent consistance. Au centre, un vague profil, encore imprécis, qui se fond dans le tableau. Mais à mesure que les couleurs dansent et s'ajustent, les contours se précisent. Paul sent son cœur battre plus fort. Il reconnaît ces traits familiers. Puis, les éclats de lumière se rassemblent pour dessiner un visage.
C'est Isabelle. Ses yeux d’une intensité saisissante, semblent le fixer. Elle est devant la porte de chez elle, là où ils avaient l'habitude de se retrouver. Les souvenirs des moments privilégiés qu'ils ont connus déferlent sur Paul, mêlant tendresse et regrets.
Elle tend les bras vers lui, comme pour l'appeler, le plongeant dans un profond désarroi.
Paul, incrédule, murmure :
– Isabelle… ?
Profondément bouleversé, il semble entendre l'image lui parler :
– Tu es venu pour la Fête des Lumières ?
Paul hésite. Tout semble irréel, mais il répond presque malgré lui :
– Oui…
Les yeux étincelants d'Isabelle semblent percer les siens, provoquant en lui un mélange d'émerveillement et d'inquiétude. Il lève son appareil photo, hésitant à immortaliser ce moment magique. Mais ses mains tremblent, indécises face à la beauté improbable de l’instant. Finalement, son réflexe de photographe prend le dessus, et il déclenche.
À cet instant, une explosion de couleurs jaillit, Isabelle et tout ce qui l’entoure se transforme en un tourbillon d'éclats bigarrés qui se dissipe lentement. La projection disparait, la façade reprend son air austère, comme si rien ne s'était jamais passé. Paul est traversé d’un frisson et reste figé, incapable de détacher son regard de ce mur où Isabelle s'était tenue quelques secondes plus tôt. Cette apparition qui semblait tellement réelle et qui n’est plus, le perturbe profondément. Il a l'impression d'avoir assisté à quelque chose d'essentiel, une forme de réalité qui lui échappe,
Paul se sent soudain vide. Il baisse les yeux vers son appareil photos à la recherche de son dernier clic… Il a beau chercher, la carte mémoire n'a pas retenu l'instant magique. Il reste un moment, dubitatif, le cœur lourd. Lui revient à l’esprit la discussion qu’ils avaient eue un soir, devant cette même porte, et ce qui lui avait dit Isabelle : “les lumières nous aveuglent souvent, mais parfois, elles nous révèlent ce qu’on ne voit pas dans l’obscurité.”
Lorsqu'il relève enfin la tête, ses yeux balayent la rue déserte. Là où Isabelle s'était tenue quelques instants plus tôt, il ne reste que le silence des pavés. Comme son image dans cette projection féerique, elle s’était volatilisée.
Fin
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